Луи Фердинанд Селин - Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке стр 6.

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Le colonel navait jamais eu dimagination lui. Tout son malheur à cet homme était venu de là, le nôtre surtout. Étais-je donc le seul à avoir limagination de la mort dans ce régiment? Je préférais la mienne de mort, tardive Dans vingt ans Trente ans Peut-être davantage, à celle quon me voulait de suite, à bouffer de la boue des Flandres, à pleine bouche, plus que la bouche même, fendue jusquaux oreilles, par un éclat. On a bien le droit davoir une opinion sur sa propre mort. Mais alors où aller? Droit devant moi? Le dos à lennemi. Si les gendarmes ainsi, mavaient pincé en vadrouille, je crois bien que mon compte eût été bon. On maurait jugé le soir même, très vite, à la bonne franquette, dans une classe décole licenciée. Il y en avait beaucoup des vides des classes, partout où nous passions. On aurait joué avec moi à la justice comme on joue quand le maître est parti. Les gradés sur lestrade, assis, moi debout, menottes aux mains devant les petits pupitres. Au matin, on maurait fusillé: douze balles, plus une. Alors?

Et je repensais encore au colonel, brave comme il était cet homme-là, avec sa cuirasse, son casque et ses moustaches, on laurait montré se promenant comme je lavais vu moi, sous les balles et les obus, dans un music-hall, cétait un spectacle à remplir lAlhambra dalors, il aurait éclipsé Fragson, dans lépoque dont je vous parle une formidable vedette, cependant. Voilà ce que je pensais moi. Bas les cœurs! que je pensais moi.

Après des heures et des heures de marche furtive et prudente, japerçus enfin nos soldats devant un hameau de fermes. Cétait un avant-poste à nous. Celui dun escadron qui était logé par là. Pas un tué chez eux, quon mannonça. Tous vivants! Et moi qui possédais la grande nouvelle: « Le colonel est mort! » que je leur criai, dès que je fus assez près du poste. « Cest pas les colonels qui manquent! » que me répondit le brigadier Pistil, du tac au tac, quétait justement de garde lui aussi et même de corvée.

« Et en attendant quon le remplace le colonel, va donc, eh carotte, toujours à la distribution de bidoche avec Empouille et Kerdoncuff et puis, prenez deux sacs chacun, cest derrière léglise que ça se passe Quon voit là-bas Et puis vous faites pas refiler encore rien que les os comme hier, et puis tâchez de vous démerder pour être de retour à lescouade avant la nuit, salopards! »

On a repris la route tous les trois donc.

« Je leur raconterai plus rien à lavenir! » que je me disais, vexé. Je voyais bien que cétait pas la peine de leur rien raconter à ces gens-là, quun drame comme jen avais vu un, cétait perdu tout simplement pour des dégueulasses pareils! quil était trop tard pour que ça intéresse encore. Et dire que huit jours plus tôt on en aurait mis sûrement quatre colonnes dans les journaux et ma photographie pour la mort dun colonel comme cétait arrivé. Des abrutis.

Cétait donc dans une prairie daoût quon distribuait toute la viande pour le régiment,  ombrée de cerisiers et brûlée déjà par la fin dété. Sur des sacs et des toiles de tentes largement étendues et sur lherbe même, il y en avait pour des kilos et des kilos de tripes étalées, de gras en flocons jaunes et pâles, des moutons éventrés avec leurs organes en pagaïe, suintant en ruisselets ingénieux dans la verdure dalentour, un bœuf entier sectionné en deux, pendu à larbre, et sur lequel sescrimaient encore en jurant les quatre bouchers du régiment pour lui tirer des morceaux dabattis. On sengueulait ferme entre escouades à propos de graisses, et de rognons surtout, au milieu des mouches comme on en voit que dans ces moments-là, importantes et musicales comme des petits oiseaux.

Cétait donc dans une prairie daoût quon distribuait toute la viande pour le régiment,  ombrée de cerisiers et brûlée déjà par la fin dété. Sur des sacs et des toiles de tentes largement étendues et sur lherbe même, il y en avait pour des kilos et des kilos de tripes étalées, de gras en flocons jaunes et pâles, des moutons éventrés avec leurs organes en pagaïe, suintant en ruisselets ingénieux dans la verdure dalentour, un bœuf entier sectionné en deux, pendu à larbre, et sur lequel sescrimaient encore en jurant les quatre bouchers du régiment pour lui tirer des morceaux dabattis. On sengueulait ferme entre escouades à propos de graisses, et de rognons surtout, au milieu des mouches comme on en voit que dans ces moments-là, importantes et musicales comme des petits oiseaux.

Et puis du sang encore et partout, à travers lherbe, en flaques molles et confluentes qui cherchaient la bonne pente. On tuait le dernier cochon quelques pas plus loin. Déjà quatre hommes et un boucher se disputaient certaines tripes à venir.

« Cest toi eh vendu! qui las étouffé hier laloyau!.. »

Jai eu le temps encore de jeter deux ou trois regards sur ce différend alimentaire, tout en mappuyant contre un arbre et jai dû céder à une immense envie de vomir, et pas quun peu, jusquà lévanouissement.

On ma bien ramené jusquau cantonnement sur une civière, mais non sans profiter de loccasion pour me barboter mes deux sacs en toile cachou.

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