де Сад Маркиз Донасье?н Альфонс Франсуа - Aline et Valcour, tome 2 стр 7.

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Bien résolu de ne pas rendre ma course Inutile dans ce royaume, et d'y poursuivre au moins les recherches que j'avais projetées, je louai des mulets à Salé, et rendu à Mekinés, lieu de résidence de la Cour, je descendis chez le Consul de France: je lui exposai ma demande.—Je vous plains, me répondit cet homme, dès qu'il m'eût entendu, et vous plains d'autant plus, que votre femme, fût-elle au sérail, il serait impossible, au roi de France même, de la découvrir; cependant, il n'est pas vraisemblable que ce malheur ait eu lieu: il est extrêmement rare que les corsaires de Maroc aillent aujourd'hui dans l'Adriatique; il y a peut-être plus de trente ans qu'ils n'y ont pris terre: les marchands qui fournissent le haram ne vont acheter des femmes qu'en Georgie; s'ils font quelques vols, c'est dans L'Archipel, parce que l'Empereur est très-porté pour les femmes grecques, et qu'il paie au poids de l'or tout ce qu'on lui amène au-dessous de 12 ans de ces contrées. Mais il fait très-peu de cas des autres Européennes, et je pourrais, continuait-il, vous assurer d'après cela presqu'aussi sûrement que si j'avais visité le sérail, que votre divinité n'y est point. Quoi qu'il en soit, allez vous vous reposer, je vous promets de faire des recherches; j'écrirai dans les ports de l'Empire, et peut-être au moins découvrirons-nous si elle a côtoyé ces parages.

Trouvant cet avis raisonnable, je m'y Conformai, et fus essayer de prendre un peu de repos, s'il était possible que je pusse le trouver au milieu des agitations de mon coeur.

Le Consul fut huit jours sans me rien apprendre; il vint enfin me trouver au commencement du neuvième: votre femme, me dit-il, n'est sûrement pas venue dans ce pays; j'ai le signalement de toutes celles qui y ont débarqué depuis l'époque que vous m'avez cité, rien dans tout ce que j'ai ne ressemble à ce qui vous intéresse. Mais le lendemain de votre arrivée, un petit bâtiment anglais, battu de la tempête, a relâché dix heures à Safie; il a mis ensuite à la voile pour le Cap; il avait dans son bâtiment une jeune Française de l'âge que vous m'avez dépeint, brune, de beaux cheveux, et de superbes yeux noirs; elle paraissait être extrêmement affligée: on n'a pu me dire, ni avec qui elle était, ni quel paraissait être l'objet de son voyage; ce peu de circonstances est tout ce que j'ai su, je me hâte de vous en faire part, ne doutant point que cette Française, si conforme au portrait que vous m'avez fait voir, ne soit celle que vous cherchez.—Ah! Monsieur, m'écriai-je, vous me donnez à-la-fois et la vie et la mort; je ne respirerai plus que je n'aie atteint ce maudit bâtiment; je n'aurai pas un moment de repos que je ne sois instruit des raisons qui lui font emporter celle que j'adore au fond de l'univers. Je priai en même-tems cet homme honnête de me fournir quelques lettres de crédit et de recommandation pour le Cap. Il le fit, m'indiqua les moyens de trouver un léger bâtiment à bon prix au port de Salé, et nous nous séparâmes.

Je retournai donc à ce port célèbre de l'Empire de Maroc5, où je m'arrangeai assez promptement d'une barque hollandaise de 50 tonneaux: pour avoir l'air de faire quelque chose, j'achetai une petite cargaison d'huile, dont on m'a dit que j'aurais facilement le débit au Cap. J'avais avec moi vingt-cinq matelots, un assez bon pilote, et mon valet-de-chambre, tel était mon équipage.

Notre bâtiment n'étant pas, assez bon voilier pour garder la grande mer, nous courûmes les côtes sans nous en écarter de plus de quinze à vingt lieues, quelquefois même nous y abordions pour y faire de l'eau ou pour acheter des vivres aux Portugais de la Guinée. Tout alla le mieux du monde jusqu'au golfe, et nous avions fait près de la moitié du chemin, lorsqu'un terrible vent du Nord nous jeta tout-à-coup vers l'isle de Saint-Mathieu. Je n'avais encore jamais vu la mer dans un tel courroux: la brume était si épaisse, qu'il devenait impossible de nous distinguer de la proue à la poupe; tantôt enlevé jusqu'aux nues par la fureur des vagues, tantôt précipité dans l'abîme par leur chûte impétueuse, quelquefois entièrement inondés par les lames que nous embarquions malgré nous, effrayés du bouleversement intérieur et du mugissement épouvantable des eaux, du craquement des couples; fatigués du roulis violent qu'occasionnait souvent la violence des rafales, et l'agitation inexprimable des lots, nous voyions la mort nous assaillir de par-tout, nous l'attendions à tout instant.

C'est ici qu'un philosophe eût pu se plaire à étudier l'homme, à observer la rapidité avec laquelle les changemens de l'atmosphère le font passer d'une situation à l'autre. Une heure avant, nos matelots s'enivraient en jurant … maintenant, les mains élevées vers le ciel, ils ne songeaient plus qu'à se recommander à lui. Il est donc vrai que la crainte est le premier ressort de toutes les religions, et qu'elle est, comme dit Lucrèce, la mère des cultes. L'homme doué d'une meilleure constitution, moins de désordres dans la nature, et l'on n'eût jamais parlé des Dieux sur la terre.

Cependant le danger pressait; nos matelots redoutaient d'autant plus les rochers à fleur d'eau, qui environnent l'île Saint-Mathieu, qu'ils étaient absolument hors d'état de les éviter. Ils y travaillaient néanmoins avec ardeur, lorsqu'un dernier coup de vent, rendant leurs soins infructueux, fait toucher la barque avec tant de rudesse sur un de ces rochers, qu'elle se fend, s'abîme, et s'écroule en débris dans les flots.

Dans ce désordre épouvantable; dans ce tumulte affreux des cris des ondes bouillonnantes, des sifflements de l'air, de l'éclat bruyant de toutes les différentes parties de ce malheureux navire, sous la faulx de la mort enfin, élevée pour frapper ma tête, je saisis une planche, et m'y cramponnant, m'y confiant au gré des flots, je suis assez heureux, pour y trouver un abri, contre les dangers qui m'environnent. Nul de mes gens n'ayant été si fortuné que moi, je les vis tous périr sous mes yeux. Hélas! dans ma cruelle situation, menacé comme je l'étais, de tous les fléaux qui peuvent assaillir l'homme, le ciel m'est témoin que je ne lui adressai pas un seul voeu pour moi. Est-ce courage, est-ce défaut de confiance; je ne sais, mais je ne m'occupai que des malheureux qui périssaient, pour me servir; je ne pensai qu'à eux, qu'à ma chère Léonore, qu'à l'état dans lequel elle devait être, privée de son époux et des secours qu'elle en devait attendre.

J'avais heureusement sauvé toute ma fortune; les précautions prises de l'échanger en papier du Cap à Maroc, m'avait facilité les moyens de la mettre à couvert. Mes billets fermés avec soin dans un portefeuille de cuir, toujours attaché à ma ceinture, se retrouvaient ainsi tous avec moi, et nous ne pouvions périr qu'ensemble; mais quelle faible consolation, dans l'état où j'étais.

Voguant seul sur ma planche, en bute à la fureur des élémens, je vis un nouveau danger prêt à m'assaillir, danger affreux, sans doute, et auquel je n'avais nullement songé; je ne m'étais muni d'aucuns vivres, dans cette circonstance, où le désir de se conserver, aveugle toujours sur les vrais moyens d'y parvenir; mais il est un dieu pour les amans; je l'avais dit à Léonore, et je m'en convainquis. Les Grecs ont eu raison d'y croire; et quoique dans ce moment terrible, je ne songeai guères plus à invoquer celui-là, qu'un autre; ce fut pourtant à lui que je dus ma conservation: je dois le croire au moins, puisqu'il m'a fait sortir vainqueur de tant de périls, pour me rendre enfin à celle que j'adore.

Insensiblement le temps se calma; un vent frais fit glisser ma planche sur une mer tranquille, avec tant d'aisance et de facilité, que je revis la côte d'Afrique, le soir même; mais je descendais considérablement, quand je pris terre; le second jour, je me trouvai entre Benguele, et le royaume des Jagas, sur les côtes de ce dernier empire, aux environs du Cap-nègre; et ma planche, tout-à-fait jetée sur le rivage, aborda sur les terres mêmes de ces peuples indomptés et cruels, dont j'ignorais entièrement les moeurs. Excédé de fatigue et de besoin, mon premier empressement, dès que je fus à terre, fut de cueillir quelques racines et quelques fruits sauvages, dont je fis un excellent repas; mon second soin fut de prendre quelques heures de sommeil.

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