де Сад Маркиз Донасье?н Альфонс Франсуа - Aline et Valcour, tome 2 стр 8.

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Après avoir accordé à la nature, ce qu'elle exigeait si impérieusement, j'observai le cours du soleil; il me sembla, d'après cet examen, qu'en dirigeant mes pas, d'abord en avant de moi, puis au midi, je devais arriver par terre au Cap, en traversant la Cafrerie et le pays des Hottentots. Je ne me trompais pas; mais quel danger m'offrait ce parti? Il était clair que je me trouvais dans un pays peuplé d'anthropophages; plus j'examinais ma position, moins j'en pouvais douter. N'était-ce pas multiplier mes dangers, que de m'enfoncer encore plus dans les terres. Les possessions portugaises et hollandaises, qui devaient border la côte, jusqu'au Cap, se retraçaient bien à mon esprit; mais cette côte hérissée de rochers, ne m'offrait aucun sentier qui parût m'en frayer la route, au lieu qu'une belle et vaste plaine se présentait devant moi, et semblait m'inviter à la suivre. Je m'en tins donc au projet que je viens de vous dire, bien décidé, quoi qu'il pût arriver, de suivre l'intérieur des terres, deux ou trois jours à l'occident, puis de rabattre tout-à-coup au midi. Je le répète, mon calcul était juste; mais que de périls, pour le vérifier!

M'étant muni d'un fort gourdin, que je taillai en forme de massue, mes habits derrière mon dos, l'excessive chaleur m'empêchant de les porter sur moi; je me mis donc en marche. Il ne m'arriva rien cette première journée, quoique j'eusse fait près de dix lieues. Excédé de fatigue, anéanti de la chaleur, les pieds brûlés par les sables ardens, où j'enfonçais jusqu'au dessus de la cheville, et voyant le soleil prêt à quitter l'horizon, je résolus de passer la nuit sur un arbre, que j'aperçus près d'un ruisseau, dont les eaux salutaires venaient de me rafraîchir. Je grimpe sur ma forteresse, et y ayant trouvé une attitude assez commode, je m'y attachai, et je dormis plusieurs heures de suite. Les rayons brûlans qui me dardèrent le lendemain matin, malgré le feuillage qui m'environnait, m'avertirent enfin qu'il était temps de poursuivre, et je le fis, toujours avec le même projet de route. Mais la faim me pressait encore, et je ne trouvais plus rien, pour la satisfaire. O viles richesses, me dis-je alors m'apercevant que j'en étais couvert, sans pouvoir me procurer avec, le plus faible secours de la vie!… quelques légers légumes, dont je verrais cette plaine semée, ne seraient-ils pas préférables à vous? Il est donc faux que vous soyez réellement estimables, et celui qui, pour aller vous arracher du sein de la terre, abandonne le sol bien plus propice qui le nourrirait sans autant de peine, n'est qu'un extravagant bien digne de mépris. Ridicules conventions humaines, que de semblables erreurs vous admettez ainsi, sans en rougir, et sans oser les replonger dans le néant, dont jamais elles n'eussent dû sortir.

A peine eus-je fait cinq lieues, cette seconde journée, que je vis beaucoup de monde devant moi. Ayant un extrême besoin de secours, mon premier mouvement fut d'aborder ceux que je voyais; le second, ramenant à mon esprit l'affreuse idée que j'étais dans des terres peuplées de mangeurs d'hommes, me fit grimper promptement sur un arbre, et attendre là, ce qu'il plairait au sort de m'envoyer.

Grand dieu! comment vous peindre ce qui se passa!… Je puis dire avec raison, que je n'ai vu de ma vie, un spectacle plus effrayant.

Les Jagas que je venais d'apercevoir, revenaient triomphans d'un combat qui s'était passé entr'eux et les sauvages du royaume de Butua, avec lesquels ils confinent. Le détachement s'arrêta sous l'arbre même sur lequel je venais de choisir ma retraite; ils étaient environ deux cents, et avaient avec eux une vingtaine de prisonniers, qu'ils conduisaient enchaînés avec des liens d'écorce d'arbres.

Arrivé là, le chef examina ses malheureux captifs, il en fit avancer six, qu'il assomma lui-même de sa massue, se plaisant à les frapper chacun sur une partie différente, et à prouver son adresse, en les abattant d'un seul coup. Quatre de ses gens les dépecèrent, et on les distribua tous sanglans à la troupe; il n'y a point de boucherie où un boeuf soit partagé avec autant de vitesse, que ces malheureux le furent, à l'instant, par leurs vainqueurs. Ils déracinèrent un des arbres voisins de celui sur lequel j'étais, en coupèrent des branches, y mirent le feu, et firent rôtir à demi, sur des charbons ardens, les pièces de viande humaine qu'ils venaient de trancher. A peine eurent-elles vu la flamme, qu'ils les avalèrent avec une voracité qui me fit frémir. Ils entremêlèrent ce repas de plusieurs traits d'une boisson qui me parut enivrante, au moins, dois-je le croire à l'espèce de rage et de frénésie, dont ils furent agités, après ce cruel repas: ils redressèrent l'arbre qu'ils avaient arraché, le fixèrent dans le sable, y lièrent un de ces malheureux vaincus, qui leur restait, puis se mirent à danser autour, en observant à chaque mesure, d'enlever adroitement, d'un fer dont ils étaient armés, un morceau de chair du corps de ce misérable, qu'ils firent mourir, en le déchiquetant ainsi en détail.6 Ce morceau de chair s'avalait crud, aussitôt qu'il était coupé; mais avant de le porter à la bouche, il fallait se barbouiller le visage avec le sang qui en découlait. C'était une preuve de triomphe. Je dois l'avouer, l'épouvante et l'horreur me saisirent tellement ici, que peu s'en fallut que mes forces ne m'abandonnassent; mais ma conservation dépendait de mon courage, je me fis violence, je surmontai cet instant de faiblesse, et me contins.

La journée toute entière se passa à ces exécrables cérémonies, et c'est sans doute une des plus cruelles que j'aie passée s de mes jours. Enfin nos gens partirent au coucher du soleil, et au bout d'un quart-d'heure, ne les apercevant plus, je descendis de mon arbre, pour prendre moi-même un peu de nourriture, que l'abattement dans lequel j'étais, me rendait presqu'indispensable.

Assurément, si j'avais eu le même goût que ce peuple féroce, j'aurais encore trouvé sur l'arène, de quoi faire un excellent repas; mais une telle idée, quelque fut ma disette, fit naître en moi tant d'horreur, que je ne voulus même pas cueillir les racines, dont je me nourrissais, dans les environs de cet horrible endroit; je m'éloignai, et après un triste et léger repas, je passai la seconde nuit dans la même position que la première.

Je commençais à me repentir vivement de la résolution que j'avais prise; il me semblait que j'aurais beaucoup mieux fait de suivre la côte, quelqu'impraticable que m'en eût paru la route, que de m'enfoncer ainsi dans les terres, où il paraissait certain que je devais être dévoré; mais j'étais déjà trop engagé; il devenait presqu'aussi dangereux pour moi, de retourner sur mes pas, que de poursuivre; j'avançai donc. Le lendemain, je traversai le champ du combat de la veille, et je crus voir qu'il y avait eu sur le lieu même, un repas semblable à celui dont j'avais été spectateur. Cette idée me fit frissonner de nouveau, et je hâtai mes pas.... O ciel! ce n'était que pour les voir arrêter bientôt.

Je devais être à environ vingt-cinq lieues de mon débarquement, lorsque trois sauvages tombèrent brusquement sur moi au débouché d'un taillis qui les avait dérobés à mes yeux; ils me parlèrent une langue que j'étais bien loin de savoir; mais leurs mouvemens et leurs actions se faisaient assez cruellement entendre, pour qu'il ne pût me rester aucun doute sur l'affreux destin qui m'était préparé. Me voyant prisonnier, ne connaissant que trop l'usage barbare qu'ils faisaient de leurs captifs, je vous laisse à penser ce que je devins.... O Léonore, m'écriai-je, tu ne reverras plus ton amant; il est à jamais perdu pour toi; il va devenir la pâture de ces monstres; nous ne nous aimerons plus, Léonore; nous ne nous reverrons jamais. Mais les expressions de la douleur étaient loin d'atteindre l'âme de ces barbares; ils ne les comprenaient seulement pas. Il m'avaient lié si étroitement, qu'à peine m'était-il possible de marcher. Un moment je me crus déshonoré de ces fers; la réflexion ranima mon courage: l'ignominie qui n'est pas méritée, me dis-je, flétrit bien plus celui qui la donne, que celui qui la reçoit; le tyran a le pouvoir d'enchaîner; l'homme sage et sensible a le droit bien plus précieux de mépriser celui qui le captive, et tel froissé qu'il sort de ces fers, souriant au despote qui l'accable, son front touche la voûte des cieux, pendant que la tête orgueilleuse de l'oppresseur s'abaisse et se couvre de fange.7

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