де Сад Маркиз Донасье?н Альфонс Франсуа - Aline et Valcour, tome 2 стр 9.

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Je marchai près de six heures avec ces barbares, dans l'affreuse position que je viens de vous dire, au bout desquelles, j'aperçus une espèce de bourgade construite avec régularité, et dont la principale maison me parut vaste, et assez belle, quoique de branches d'arbres et de joncs, liés à des pieux. Cette maison était celle du prince, la ville était sa capitale, et j'étais en un mot, dans le royaume de Butua, habité par des peuples antropophages, dont les moeurs et les cruautés surpassent en dépravation tout ce qui a été écrit et dit, jusqu'à présent, sur le compte des peuples les plus féroces. Comme aucun Européen n'était parvenu dans cette partie, que les Portugais n'y avaient point encore pénétré pour lors, malgré le désir qu'ils avaient de s'en emparer, pour établir par là le fil de communication entre leur colonie de Benguele, et celle qu'ils ont à Zimbaoé, près du Zanguebar et du Monomotapa. Comme, dis-je, il n'existe aucune relation de ces contrées, j'imagine que vous ne serez pas fâché d'apprendre quelques détails sur la manière dont ces peuples se conduisent, j'affaiblirai sans doute ce que cette relation pourra présenter d'indécent; mais pour être vrai, je serai pourtant obligé quelquefois de révéler des horreurs qui vous révolteront. Comment pourrai-je autrement vous peindre le peuple le plus cruel et le plus dissolu de la terre?

Aline ici voulut se retirer, mon cher Valcour, et je me flatte que tu reconnais là cette fille sage, qu'alarme et fait rougir la plus légère offense à la pudeur. Mais madame de Blamont soupçonnant le chagrin qu'allait lui causer la perte du récit intéressant de Sainville, lui ordonna de rester, ajoutant qu'elle comptait assez sur l'honnêteté et la manière noble de s'exprimer, de son jeune hôte, pour croire qu'il mettrait dans sa narration, toute la pureté qu'il pourrait, et qu'il gazerait les choses trop fortes.... Pour de la pureté dans les expressions, tant qu'il vous plaira, interrompit le comte; mais pour des gazes, morbleu, mesdames, je m'y oppose; c'est avec toutes ces délicatesses de femmes, que nous ne savons rien, et si messieurs les marins eussent voulu parler plus clair, dans leurs dernières relations, nous connaîtrions aujourd'hui les moeurs des insulaires du Sud, dont nous n'avons que les plus imparfaits détails; ceci n'est pas une historiette indécente: monsieur ne va pas nous faire un roman; c'est une partie de l'histoire humaine, qu'il va peindre; ce sont des développemens de moeurs; si vous voulez profiter de ces récits, si vous désirez y apprendre quelque chose, il faut donc qu'ils soient exacts, et ce qui est gaze, ne l'est jamais. Ce sont les esprits impurs qui s'offensent de tout. Monsieur, poursuivit le comte, en s'adressant à Sainville, les dames qui nous entourent ont trop de vertu, pour que des relations historiques puissent échauffer leur imagination. Plus l'infamie du vice est découverte aux gens du monde, (a écrit quelque part un homme célèbre,) et plus est grande l'horreur qu'en conçoit une âme vertueuse. Y eut-il même quelques obscénités dans ce que vous allez nous dire, eh bien, de telles choses révoltent, dégoûtent, instruisent, mais n'échauffent jamais.... Madame, continua ce vieux et honnête militaire, en fixant madame de Blamont, souvenez-vous que l'impératrice Livie, à laquelle je vous ai toujours comparée, disait que des hommes nuds étaient des statues pour des femmes chastes. Parlez, monsieur, parlez, que vos mots soient décents; tout passe avec de bons termes; soyez honnête et vrai, et sur-tout ne nous cachez rien; ce qui vous est arrivé, ce que vous avez vu, nous paraît trop intéressant, pour que nous en voulions rien perdre.

Le palais du roi de Butua reprit Sainville, est gardé par des femmes noires, jaunes, mulâtres et blafardes8, excepté les dernières, toujours petites et rabougries. Celles que je pus voir, me parurent grandes, fortes, et de l'âge de 20 à 30 ans. Elles étaient absolument nues, dénuées même du pague qui couvre les parties de la pudeur chez les autres peuples de l'Afrique, toutes étaient armées d'arcs et de flèches; dès qu'elles nous virent, elles se rangèrent en haye, et nous laissèrent passer au milieu d'elles. Quoique ce palais n'ait qu'un rez-de-chaussée, il est extrêmement vaste. Nous traversâmes plusieurs appartemens meublés de nattes, avant que d'arriver où était le roi. Des troupes de femmes se tenaient dans les différentes pièces où nous passions. Un dernier poste de six, infiniment mieux faites, et plus grandes, nous ouvrit enfin une porte de claye, qui nous introduisit où se tenait le monarque. On le voyait élevé au fond de cette pièce, dans un gradin, à-demi couché sur des coussins de feuilles, placées sur des nattes très-artistement travaillées; il était entouré d'une trentaine de filles, beaucoup plus jeunes que celles que j'avais vu remplir les fonctions militaires. Il y en avait encore dans l'enfance, et le plus grand nombre, de douze à seize ans. En face du trône, se voyait un autel élevé de trois pieds, sur lequel était une idole, représentant une figure horrible, moitié homme, moitié serpent, ayant les mamelles d'une femme, et les cornes d'un bouc; elle était teinte de sang. Tel était le Dieu du pays; sur les marches de l'autel … le plus affreux spectacle s'offrit bientôt à mes regards. Le prince venait de faire un sacrifice humain; l'endroit où je le trouvais, était son temple, et les victimes récemment immolées, palpitaient encore aux pieds de l'idole.... Les macérations dont le corps de ces malheureuses hosties étaient encore couverts … le sang qui ruisselait de tous cotes … ces têtes séparées des troncs,… achevèrent de glacer mes sens.... Je tressaillis d'horreur.

Le prince demanda qui j'étais, et quand on l'en eut instruit, il me montra du doigt un grand homme blanc, sec et basané, d'environ 65 ans, qui, sur l'ordre du monarque, s'approcha de moi, et me parla sur-le-champ une langue européenne; je dis en italien à cet interprète, que je n'entendais point la langue dont il se servait; il me répondit aussitôt en bon toscan, et nous nous liâmes. Cet homme était portugais; il se nommait Sarmiento, pris, comme je venais de l'être, il y avait environ vingt ans. Il s'était attaché à cette cour, depuis cet intervalle, et n'avait plus pensé à l'Europe. J'appris par son moyen, mon histoire à Ben Mâacoro; (c'était le nom du prince.) Il avait paru en désirer toutes les circonstances; je ne lui en déguisai aucunes. Il rit à gorge déployée, quand on lui dit que j'affrontais tant de périls pour une femme. En voilà deux mille dans ce palais, dit-il, qui ne me feraient seulement pas bouger de ma place. Vous êtes fous, continua-t-il, vous autres Européens, d'idolâtrer ce sexe; une femme est faite pour qu'on en jouisse, et non pour qu'on l'adore; c'est offenser les Dieux de son pays, que de rendre à de simples créatures, le culte qui n'est dû qu'à eux. Il est absurde d'accorder de l'autorité aux femmes, très-dangereux de s'asservir à elles; c'est avilir son sexe, c'est dégrader la nature, c'est devenir esclaves des êtres au-dessus desquels elle nous a placés. Sans m'amuser à réfuter ce raisonnement, je demandai au Portugais où le prince avait acquis ces connaissances sur nos nations. Il en juge sur ce que je lui ai dit, me répondit Sarmiento; il n'a jamais vu d'Européen, que vous et moi. Je sollicitai ma liberté; le prince me fit approcher de lui; j'étais nud: il examina mon corps; il le toucha par-tout, à-peu-près de la même façon qu'un boucher examine un boeuf, et il dit à Sarmiento, qu'il me trouvait trop maigre, pour être mangé, et trop âgé pour ses plaisirs.... Pour ses plaisirs, m'écriai-je.... Eh quoi! ne voilà-t-il pas assez de femmes?… C'est précisément parce qu'il en a de trop, qu'il en est rassasié, me répondit l'interprète.... O Français! ne connais-tu donc pas les effets de la satiété; elle déprave, elle corrompt les goûts, et les rapproche de la nature, en paraissant les en écarter.... Lorsque le grain germe dans la terre, lorsqu'il se fertilise et se reproduit, est-ce autrement que par corruption, et la corruption n'est-elle pas la première des loix génératrices? Quand tu seras resté quelque temps ici, quand tu auras connu les moeurs de cette nation, tu deviendras peut-être plus philosophe.—Ami, dis-je au Portugais, tout ce que je vois, et tout ce que tu m'apprends, ne me donne pas une fort grande envie d'habiter chez elle; j'aime mieux retourner en Europe, où l'on ne mange pas d'hommes, où l'on ne sacrifie pas de filles, et où on ne se sert pas de garçons.—Je vais le demander pour toi, me répondit le Portugais, mais je doute fort que tu l'obtiennes. Il parla en effet au roi, et la réponse fut négative. Cependant on ôta mes liens, et le monarque me dit que celui qui m'expliquait ses pensées, vieillissant, il me destinait à le remplacer; que j'apprendrais facilement, par son moyen, la langue de Butua; que le Portugais me mettrait au fait de mes fonctions à la cour, et qu'on ne me laissait la vie, qu'aux conditions que je les remplirais. Je m'inclinai, et nous nous retirâmes.

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