— Personne ne fera-t-il face à cette situation ? exigea Altfor.
— C’est exactement ce que j’allais demander, mon neveu, retorqua une voix dure.
L’homme qui était entré dans la pièce donna à Geneviève l’envie de quitter les lieux au moins autant qu’Altfor. Avec Altfor, elle voulait éviter la chaleur de sa rage, mais chez cet homme, il se dégageait quelque chose de froid, quelque chose qui semblait être fait de glace. Il était plus âgé qu’Altfor d’une vingtaine d’années, avec des cheveux clairsemés et une carrure élancée. Il marchait avec ce qui semblait à première vue être un bâton, mais Geneviève vit la poignée sortir d’un fourreau et réalisa qu’il s’agissait d’une longue épée, encore dans son fourreau. Quelque chose dans sa démarche disait à Geneviève que c’était les blessures, et non l’âge, qui le poussait à utiliser cette canne mortelle.
— Oncle Alistair, dit Altfor. Nous… nous ne vous attendions pas.
En fait, Altfor semblait inquiet face à la présence du nouveau venu, et ce fut une surprise pour Geneviève. Il avait toujours semblé si parfaitement en contrôle avant, à présent la présence de cet homme semblait le déstabiliser complètement.
— Manifestement pas, dit l’homme élancé. Sa main caressait le pommeau de la longue épée sur laquelle il était appuyé. Le moment où tu ne m’as pas invité à ton mariage t’a probablement fait penser que je resterais dans mes domaines, que j’éviterais la ville et que je te laisserais tout gâcher à la suite de la mort de mon frère. Il regarda autour de lui, ses yeux tombèrent sur Geneviève la repérant au milieu de la foule de son regard de faucon. Félicitations pour ton mariage, ma fille. Je vois que mon neveu a le goût de l’inutile.
— Je… vous ne me parlerez pas de la sorte, dit Altfor. Il lui fallut un moment pour se rappeler qu’il devait défendre l’honneur de Geneviève. Ou à ma femme. Je suis le duc !
Alistair s’approcha de Geneviève, et à ce moment son épée quitta son fourreau, captant la lumière, large et tranchante comme un rasoir. Geneviève se figea sur place, osant à peine respirer alors que l’oncle d’Altfor tenait la lame à un pouce de sa gorge.
— Je pourrais trancher la gorge de cette fille, et aucun de tes hommes ne lèverait le petit doigt pour m’arrêter, dit Alistair. Et certainement pas toi non plus.
Geneviève n’avait pas besoin de regarder vers Altfor pour savoir qu’il disait vrai. Il n’était pas le genre de mari assez prévenant pour essayer de la défendre. Aucun des courtisans ne voudrait l’aider, et Moira… Moira la regardait comme si une partie d’elle-même espérait qu’Alistair mette sa menace à exécution.
Geneviève ne pouvait compter que sur elle-même.
— Pourquoi me passeriez-vous au fil de votre épée, mon seigneur ? demanda-t-elle.
— Pourquoi ne le ferais-je pas ? dit-il. Je veux dire oui, tu es jolie : blonde, yeux verts, mince, quel homme ne voudrait pas de toi ? Mais les paysannes ne sont pas difficiles à remplacer.
— J’avais l’impression que mon mariage m’avait fait plus que cela, dit Geneviève, essayant de garder sa voix stable malgré la présence de la lame. Ai-je fait quelque chose pour vous offenser ?
— Je ne sais pas, ma fille, qu’en penses-tu ? demanda-t-il, et ses yeux semblaient chercher quelque chose chez Geneviève. Un message a été envoyé, révélant les derniers mouvements du garçon qui a assassiné mon frère, pourtant ce message n’est parvenu à moi ou à quiconque que bien trop tard. Tu sais quelque chose à ce sujet ?
Geneviève savait de quoi il s’agissait, puisque c’était elle-même qui avait retardé le message. C’était tout ce qu’elle avait été capable de faire, et pourtant, elle n’avait pas eu l’impression d’en avoir assez fait étant donné ce qu’elle ressentait pour Royce. Malgré cela, elle réussit à feindre le calme sur son visage, faisant semblant d’être innocente parce que c’était littéralement la seule défense qu’elle avait à ce moment-là.
— Monseigneur, je ne comprends pas, dit-elle. Vous avez dit vous-même que je ne suis qu’une paysanne ; comment pourrais-je faire quoi que ce soit pour arrêter un tel message ?
Par instinct, elle s’agenouilla, se déplaçant lentement, évitant tous risques de s’empaler sur la lame.
— J’ai été honorée par votre famille, dit-elle. J’ai été choisie par votre neveu, le duc. Je suis devenue sa femme, et mon statut a ainsi été élevé. Je vis comme je n’aurais jamais pu l’espérer avant. Pourquoi mettrais-je cela en péril ? Si vous me croyez vraiment traître, frappez, mon seigneur. Frappez.
Geneviève porta son innocence comme un bouclier, et elle espérait que ce bouclier de vertu lui suffise à éviter le coup d’épée qui pourrait autrement arriver. Elle l’espérait, et elle ne l’espérait pas, parce qu’à ce moment-là, peut-être qu’une lame au travers de son cœur aurait correspondu à ce qu’elle ressentait, compte tenu de la manière dont les choses avaient tourné avec Royce. Elle regarda dans les yeux de l’oncle d’Altfor, et refusa de détourner le regard, de donner le moindre signe de ce qu’elle avait fait. Il releva l’épée comme s’il allait porter ce coup fatal… puis abaissa sa lame.
— Il semble, Altfor, que ta femme a plus d’acier en elle que toi.
Geneviève réussit à respirer à nouveau et se releva pendant que son mari la rejoignait.
— Mon oncle, assez joué. Je suis le duc ici, et mon père…
— Mon frère a été assez fou pour te léguer un domaine, mais ne prétendons pas que cela fasse de toi un duc véritable, dit Alistair. Cela exige commandement, discipline et par-dessus tout le respect de tes hommes. Tu n’as rien de tout ça.
— Je pourrais ordonner à mes hommes de vous traîner dans un donjon, dit Altfor.
— Et je pourrais leur ordonner de faire la même chose, répliqua Alistair. Dis-moi, auquel d’entre nous penses-tu qu’ils obéiraient ? Le fils le moins aimé de mon frère, ou le frère qui a commandé des armées ? Celui qui laissé filer son assassin, ou celui qui a tenu le mur à Haldermark ? Un garçon ou un homme ?
Geneviève pouvait deviner la réponse à cette question, et elle n’aimait pas la tournure que cela pourrait prendre. Qu’elle le veuille ou non, elle était la femme d’Altfor, et si son oncle décidait de se débarrasser de lui, elle n’avait aucune illusion sur ce qui pourrait lui arriver. Rapidement, elle s’approcha de son mari, lui mettant la main sur le bras dans ce qui ressemblait probablement à un geste de soutien, alors même qu’elle essayait de lui rappeler de se retenir.
— Ce duché a été mené à une impasse, dit Alistair. Mon frère a fait des erreurs, et jusqu’à ce qu’elles soient corrigées, je veillerai à ce que les choses soit dirigées convenablement. Quelqu’un ici veut-il contester mon droit de le faire ?
Geneviève ne put s’empêcher de remarquer qu’il avait toujours son épée en main, attendant évidemment que le premier homme dise quelque chose. Bien sûr, ça devait être Altfor.
— Vous voulez que je vous jure fidélité ? dit Altfor. Vous voulez que je m’agenouille devant vous alors que mon père m’a fait duc ?
— Deux choses peuvent faire un duc, insista Alistair. Le commandement du souverain, ou le pouvoir de le prendre. As-tu l’un ou l’autre, neveu ? Ou vas-tu t’agenouiller ?
Geneviève s’agenouilla avant son mari, tirant sur son bras pour l’entrainer vers le bas à côté d’elle. Ce n’était pas qu’elle se souciait de la sécurité d’Altfor, pas après tout ce qu’il avait fait, mais à ce moment-là, elle savait que sa sécurité était la sienne.
— Très bien, mon oncle, dit Altfor, à travers des dents visiblement serrées. J’obéirai. Il semble que je n’aie pas le choix.
— Non, reconnu Lord Alistair. Tu ne l’as pas.
Ses yeux balayèrent la pièce, et un par un, les gens s’agenouillèrent. Geneviève vit des courtisans le faire, et des serviteurs. Même Moira tomba à genoux, et une petite partie d’elle se demanda si sa prétendue amie tenterait sa chance en séduisant l’oncle d’Altfor comme elle l’avait fait avec son neveu.