Ivan remonta de la cave.
“Tout est en ordre. J'espère que les canalisations ne mettront pas trop de temps à fonctionner,” dit-il d'un air bourru.
“Ce qui fait tout son charme,” précisa Lacey.
“Restez ici aussi longtemps que nécessaire. Je vous préviendrai dès qu'une chambre d'hôtel se libère.”
“Ne vous inquiétez pas,” répondit Lacey. “C’est exactement ce que je cherchais.”
Ivan lui adressa sourire timide. “Alors, disons dix livres par nuit, cela vous convient ?”
Lacey réfléchissait. “Dix livres ? A peu près douze dollars ?”
“C’est trop ?” demanda Ivan, écarlate. “Disons cinq livres ?”
“C'est pas assez !” s'exclama Lacey, consciente qu'elle négociait le prix à la hausse plutôt qu’à la baisse. Ce tarif ridiculement bas était du vol manifeste, Lacey ne voulait pas profiter de cet homme doux et maladroit, qui avait sauvé une demoiselle en détresse. “C’est un cottage d’époque disposant de deux chambres pour une famille. Dépoussiéré et propre, vous en tirerez facilement plusieurs centaines de dollars par nuit.”
Ivan ne savait plus où se mettre. De toute évidence, parler d’argent le mettait mal à l’aise ; la preuve, pensa Lacey, qu’il n’avait rien d'un homme d’affaires. Elle espérait que ses locataires ne profiteraient pas de la situation.
“Quinze livres la nuit ?” proposa Ivan, “Quelqu'un viendra s’occuper du ménage et faire la poussière. ”
“Vingt,” rétorqua Lacey. “Je m'occupe du ménage.” Elle tendit la main en souriant. “Donnez-moi la clé. Marché conclu. ”
Ivan rougit jusqu’aux oreilles. Il acquiesça brièvement et posa la clé de bronze dans sa paume.
“Mon numéro est sur la carte. Appelez-moi en cas de casse, ou plutôt, quand ça cassera.”
“Merci,” répondit Lacey, reconnaissante, tout sourire.
Ivan partit.
Désormais seule, Lacey monta l’escalier afin d'achever son exploration. La chambre principale donnait sur l'avant de la maison et disposait d'un balcon ouvrant sur la mer. Encore une pièce digne d'un musée, avec son grand lit à baldaquin en chêne foncé et un placard assorti assez grand pour mener à Narnia. La deuxième chambre sur l'arrière, donnait sur une pelouse. Les toilettes étaient séparées de la salle de bain, guère plus grande qu’un placard. Les pieds de la baignoire blanche étaient en bronze. Il n'y avait pas de douche séparée, juste un pommeau branché sur les robinets de la baignoire.
Lacey s'affala dans le lit à baldaquin de la chambre de maître. Abasourdie, elle prit enfin le temps de réfléchir à cette folle journée. Ce matin encore, elle était mariée depuis quatorze ans. La voilà désormais célibataire. Elle menait une carrière trépidante à New York. Et se retrouvait dans un cottage, planté au sommet d'une falaise d'Angleterre. Trop génial ! Super excitant ! Pour la première fois de sa vie elle faisait preuve d'audace, c'était galvanisant !
La tuyauterie se rappela à son bon souvenir, Lacey poussa un cri perçant avant d'éclater de rire.
Elle s'allongea et contempla le ciel de lit, écoutait les vagues se fracasser contre la falaise, à marée haute. Un souvenir d’enfance raviva un rêve depuis longtemps enfoui, vivre au bord de l’océan. Elle avait complètement oublié ce rêve. Serait-il resté caché au plus profond de sa mémoire, sans jamais fair surface, si elle n’était pas revenue à Wilfordshire ? D'autres souvenirs ressurgiraient peut-être durant son séjour. Demain matin elle irait découvrir la ville, les souvenirs lui reviendraient peut-être.
CHAPITRE TROIS
Lacey fut réveillée par un bruit étrange.
Elle se redressa d'un bond, perdue dans cette chambre inconnue éclairée par un mince rai de lumière filtrant entre les rideaux. Quelques secondes furent nécessaires pour reprendre ses esprits, elle n'était plus dans son appartement à New York, mais dans un cottage en pierre, sur les falaises de Wilfordshire, en Angleterre.
Le bruit se fit de nouveau entendre. Il ne provenait pas des canalisations, c'était quelque chose d'autre, vraisemblablement animal.
Lacey regarda l'heure sur son portable, cinq heures. Elle se leva en soupirant, fourbue, les effets du décalage horaire se faisaient sentir. Les jambes lourdes, elle se dirigea pieds nus vers le balcon et ouvrit les rideaux. La falaise donnait sur la mer à perte de vue, un ciel clair et sans nuage virait au bleu. Aucun animal sur la pelouse, le bruit reprit, Lacey en déduisit que cela provenait de l'arrière de la maison.
Lacey enfila le peignoir acheté à l'aéroport in extremis et descendit l'escalier grinçant afin d'en avoir le cœur net. Elle se dirigea droit dans la cuisine donnant sur l'arrière de la maison, les grandes baies vitrées et portes fenêtres offraient une vue imprenable sur la pelouse. Lacey tenait sa réponse.
Un troupeau de moutons avait envahi le jardin.
Lacey cligna des yeux. Il devait y en avoir une quinzaine ! Vingt. Peut-être plus !
Elle se frotta les yeux et les rouvrit aussitôt mais les moutons étaient toujours là, broutant l’herbe. L’un d'eux leva la tête.
Lacey le regarda fixement, le mouton finit par se détourner et poussa un long bêlement morne et sonore.
Lacey éclata de rire. Quoi de mieux pour débuter sa nouvelle vie, sans David Doyle. Sa présence à Wilfordshire était peut-être une évidence, et non de simples vacances, elle se redécouvrait, à moins qu'elle soit devenue une autre, une inconnue. Une sensation bizarre avait élu domicile dans son estomac, un peu comme du champagne (à moins que ce soit le décalage horaire – elle avait bien dormi). Elle ne voyait pas l'heure de démarrer la journée.
Lacey était enthousiaste. Hier encore, elle était réveillée par la circulation new-yorkaise ; aujourd’hui, les bêlements s'en étaient chargés. Adieu odeurs de lessive et produits ménagers ; bonjour poussière et océan. Elle avait repris ses anciennes habitudes. Fraîchement célibataire, elle était la reine du monde. Explorer ! Découvrir ! Apprendre ! L'enthousiasme la submergeait, comme … avant le départ de son père.
Lacey refoula ses idées noires. Rien ne viendrait ternir ce bonheur tout neuf. Du moins, pas aujourd'hui. Aujourd'hui, elle était une autre. Elle était libre.
Bien que criant famine, Lacey essaya de se doucher dans la baignoire. Elle se mouilla à l'aide de l'étrange tuyau relié aux robinets, comme on l'aurait fait d'un chien boueux. L'eau passait du chaud au froid sans prévenir, les canalisations faisaient clang-clang-clang. L'eau douce enveloppait son corps d'une caresse semblable au plus raffiné des laits corporels, rien à voir comparé à la dureté de l'eau de New York. Lacey savourait cet instant mais l’eau devint soudainement froide, elle claquait des dents.
Débarrassée de la fatigue du voyage et de la pollution urbaine – sa peau était éclatante – elle se sécha et enfila la tenue achetée à l’aéroport. Lacey jugea de son apparence sur le grand miroir qui figurait à l'intérieur de la robuste armoire baptisée Narnia. C'était moche.
Lacey détestait. Elle avait acheté ces vêtements d'été à l’aéroport, les croyant appropriés pour ses vacances balnéaires. Sa tenue soi-disant décontractée lui faisait l'effet de sortir droit d'une friperie. Le pantalon beige était un peu trop serré, la chemise en mousseline blanche trop ample, les chaussures bateau n'étaient pas adaptées aux pavés, pire encore qu'en talons hauts ! Primo : investir dans des vêtements décents.
Son estomac se rappela à son bon souvenir.
Secondo, pensa-t-elle en tapotant son ventre.
Elle descendit au rez-de-chaussée. Ses cheveux mouillés gouttaient dans son dos et sur le sol de la cuisine, elle aperçut par la fenêtre quelques moutons çà et là dans le jardin. Lacey ouvrit les placards et le réfrigérateur, vides. Il était encore trop tôt pour descendre acheter des viennoiseries toutes chaudes dans la rue principale. Elle devait tuer le temps.