Tout à ses ruminations, Lacey fit demi-tour, comme si un Bed & Breakfast pouvait apparaître par enchantement. Lacey repéra alors le dernier bâtiment à l'angle, le Coach House, une auberge.
Cette idiote de Lacey s'éclaircit la gorge, reprit ses esprits et poussa la porte.
Il s'agissait là d'un pub anglais typique : de grandes tables en bois, un menu écrit en italique à la craie sur un tableau noir, les lumières criardes d'une machine à sous clignotaient dans un coin. Elle se dirigea vers le comptoir, des bouteilles de vin et des alcools forts, placés tête en bas, reposaient sur des étagères en verre. Très pittoresque. Un vieil ivrogne s'était assoupi sur le comptoir, la tête dans ses bras.
La serveuse mince au gros chignon blond défait semblait bien trop jeune pour bosser dans un pub. L’âge légal pour consommer de l'alcool était plus bas en Angleterre qu'aux Etats Unis et de toute façon, plus Lacey prenait de l'âge, plus les autres faisaient jeune.
“Qu'est-ce que je vous sers ? ” demanda la serveuse.
“Une chambre,” lança Lacey “et un verre de prosecco.”
Elle avait envie de faire la fête.
La serveuse répondit par la négative “Nous sommes complets pour Pâques.” Elle parlait la bouche grande ouverte, Lacey pouvait voir son chewing-gum. “Tout est complet. On est en pleines vacances scolaires, les gens viennent à Wilfordshire en famille. Il n’y aura rien de libre avant une bonne quinzaine.” Elle marqua une pause. “Je vous sers quand même le prosecco ?”
Lacey dut se retenir au comptoir, le ventre noué. Quelle idiote. Pas étonnant que David l'ait quittée. La reine des plans foireux. Tu parles d'une excuse. Elle se prenait pour une femme indépendante et n'était pas fichue de trouver une chambre d'hôtel à l'étranger.
Lacey aperçut une silhouette masculine venir vers elle. La soixantaine, chemise vichy, jean, lunettes de soleil rivé sur un crâne chauve, portable vissé à la ceinture.
“Vous cherchez une chambre ?”
Lacey faillit refuser – elle était certes désespérée, mais pas au point de se faire accoster dans un bar par un homme ayant le double de son âge, Naomi aurait apprécié – l'individu précisa : “Je loue des cottages aux vacanciers.”
“Oh ?” répondit-elle, visiblement surprise.
L'homme acquiesça et sortit une petite carte de visite de son jean stipulant Ivan Parry, cottages charmants, rustiques et confortables. Idéal pour familles.
“On est complet, comme vient de vous le dire Brenda,” poursuivit Ivan en indiquant la serveuse. “Je viens d'acquérir un cottage aux enchères. Il n’est pas encore à louer mais je peux vous faire visiter si ça vous dépanne ? Il a besoin d'être rénové, je vous fais un prix d'ami ? Le temps que des chambres se libèrent.”
Lacey était grandement soulagée. La carte de visite faisait vraie et Ivan n'avait pas l'air d'un sale type. La chance lui souriait ! Soulagée au point d'embrasser son crâne chauve !
“Vous me sauvez la vie,” dit-elle en se retenant.
Ivan rougit. “Venez le visiter avant de juger.”
Lacey éclata de rire. “C'est franchement si terrible ?”
*
Lacey soufflait comme un bœuf en grimpant la falaise avec d'Ivan.
“Ça monte trop ?” demanda-t-il, soucieux. “J'aurais dû vous dire que c'était sur la falaise.”
“Pas de problème,” souffla Lacey. “J'adore la vue mer.”
Pendant le trajet, Ivan s’était montré tout le contraire d’un homme d’affaires, évoquant le prix d'ami consenti (bien qu'ils n'en aient pas discuté), lui répétant de pas s'attendre à un palace. Les cuisses raidies par cette longue marche, elle se demandait s'il n’avait pas raison de déprécier son bien.
Le cottage apparut enfin au sommet de la colline. Une grande bâtisse sombre en pierre se découpait sur le ciel rose pâle. Lacey était à bout de souffle.
“On est arrivés ?”
“On est arrivés,” répondit Ivan.
Une énergie nouvelle s'empara soudainement de Lacey une fois sur la falaise. Chaque pas la rapprochant de cet édifice fascinant dévoilait une nouvelle merveille : la belle façade en pierre, le toit en ardoise, les rosiers grimpants autour des colonnes d'une véranda, l'ancienne porte bien épaisse et voûtée, un vrai conte de fées. Et le vaste océan étincelant.
Lacey se hâtait, les yeux écarquillés, bouche bée. Un panneau en bois près de la porte indiquait Crag Cottage.
Ivan la rejoignit, il cherchait la bonne clé dans son énorme trousseau. Lacey trépignait d’impatience, on aurait dit une enfant chez le marchand de glaces.
“Ne vous faites pas de faux espoirs,” répéta Ivan pour la énième fois, il avait enfin trouvé la clé – une clé en bronze toute rouillée, semblable à celle du château de Raiponce – la fit tourner dans la serrure et ouvrit.
Lacey pénétra dans la maison sans attendre ; étrangement, elle s'y sentait chez elle.
Le couloir était des plus rustique, le parquet n'avait plus vu la cire depuis belle lurette, les murs arboraient un papier-peint à fleurs passé. A sa droite, un somptueux tapis rouge aux ferrures dorées traversait l'escalier en son milieu, l’ancien propriétaire prenait son charmant petit cottage pour une demeure fastueuse. À sa gauche, une porte en bois entrouverte l'appelait.
“Comme je vous le disais, c’est quelque peu vétuste,” ajouta Ivan, Lacey avançait sur la pointe des pieds.
Trois des murs du salon étaient recouverts d’un papier peint défraîchi à rayures vertes et blanches, le dernier mur laissait voir les pierres à nu. Une grande baie vitrée avec banquette donnait sur l'océan. Un poêle à bois équipé d'une grande cheminée noire occupait tout un angle, ainsi qu'un seau argenté rempli de bûchettes. Une vaste bibliothèque en bois tapissait tout un pan de mur. Le canapé, le fauteuil et le repose-pieds assortis semblaient tout droit sortis des années 40. Un bon dépoussiérage s'imposait mais pour Lacey, c'était parfait.
Elle fit volte-face, Ivan attendait son verdict avec appréhension.
“J'adore !”
Ivan était agréablement surpris (et fier, remarqua Lacey).
“Oh ! Quel soulagement !”
Lacey ne tenait plus en place. Elle se précipita dans le salon, tout excitée, notant le moindre détail. Des romans policiers aux pages vieillies par les ans trônaient dans la bibliothèque en bois sculpté. Une tirelire en porcelaine en forme de mouton, une horloge arrêtée ainsi qu'une entière collection de délicates théières en porcelaine reposaient sur l’étagère inférieure. Elle qui adorait les antiquités, elle était servie.
“Je peux visiter ?” demanda Lacey, le cœur en liesse.
“Faites comme chez vous, je vais allumer la chaudière, histoire d'avoir du chauffage et de l'eau chaude,” répondit Ivan.
Ils empruntèrent le petit couloir sombre, Ivan disparut par une porte sous l'escalier tandis que Lacey poursuivait jusqu'à la cuisine, le cœur battant.
Elle poussa un cri une fois sur le seuil.
La cuisine était digne d'un musée de l'ère victorienne, grandeur nature. Avec une véritable cuisinière Aga noire, des marmites et casseroles en cuivre suspendues à des crochets au plafond, et un grand billot de boucher en guise d'îlot central. Une belle pelouse s'étendait devant les fenêtres. De l'autre côté, d’élégantes portes fenêtres donnaient sur un patio meublé d’une table bancale et quelques chaises. Lacey s’y voyait déjà, dégustant des croissants tout chauds de la pâtisserie, sirotant un bon et café péruvien provenant de la boutique attenante.
Un bruit énorme provenant de l'étage inférieur la tira brutalement de sa rêverie ; on pouvait sentir le plancher vibrer.
“Ivan ?” appela Lacey en retournant dans le couloir. “Tout va bien ?”
Sa voix montait par la porte ouverte de la cave. “C’est la tuyauterie. Ça n’a pas fonctionné depuis des années. Il faudra du temps avant que tout remarche.”
Un nouveau bruit sourd fit sursauter Lacey, elle ne put s’empêcher de rire, la cause étant désormais connue.