Луи Фердинанд Селин - Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке стр 7.

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Je me suis réveillé dans une autre engueulade du brigadier. La guerre ne passait pas.

Tout arrive et ce fut à mon tour de devenir brigadier vers la fin de ce même mois daoût. On menvoyait souvent avec cinq hommes, en liaison, aux ordres du général des Entrayes. Ce chef était petit de taille, silencieux, et ne paraissait à première vue ni cruel, ni héroïque. Mais il fallait se méfier Il semblait préférer par-dessus tout ses bonnes aises. Il y pensait même sans arrêt à ses aises et bien que nous fussions occupés à battre en retraite depuis plus dun mois, il engueulait tout le monde quand même si son ordonnance ne lui trouvait pas dès larrivée à létape, dans chaque nouveau cantonnement, un lit bien propre et une cuisine aménagée à la moderne.

Au chef dÉtat-major, avec ses quatre galons, ce souci de confort donnait bien du boulot. Les exigences ménagères du général des Entrayes lagaçaient. Surtout que lui, jaune, gastritique au possible et constipé, nétait nullement porté sur la nourriture. Il lui fallait quand même manger ses œufs à la coque à la table du général et recevoir en cette occasion ses doléances. On est militaire ou on ne lest pas. Toutefois, je narrivais pas à le plaindre parce que cétait un bien grand saligaud comme officier. Faut en juger. Quand nous avions donc traîné jusquau soir de chemins en collines et de luzernes en carottes, on finissait tout de même par sarrêter pour que notre général puisse coucher quelque part. On lui cherchait, et on lui trouvait un village calme, bien à labri, où les troupes ne campaient pas encore et sil y en avait déjà dans le village des troupes, elles décampaient en vitesse, on les foutait à la porte, tout simplement; à la belle étoile, même si elles avaient déjà formé les faisceaux.

Le village cétait réservé rien que pour lÉtat-major, ses chevaux, ses cantines, ses valises, et aussi pour ce saligaud de commandant. Il sappelait Pinçon ce salaud-là, le commandant Pinçon. Jespère quà lheure actuelle il est bien crevé (et pas dune mort pépère). Mais à ce moment-là, dont je parle, il était encore salement vivant le Pinçon. Il nous réunissait chaque soir les hommes de la liaison et puis alors il nous engueulait un bon coup pour nous remettre dans la ligne et pour essayer de réveiller nos ardeurs. Il nous envoyait à tous les diables, nous qui avions traîné toute la journée derrière le général. Pied à terre! À cheval! Repied à terre! Comme ça à lui porter ses ordres, de-ci, delà. On aurait aussi bien fait de nous noyer quand cétait fini. Ceût été plus pratique pour tout le monde.

« Allez-vous-en tous! Allez rejoindre vos régiments! Et vivement! quil gueulait.

 Où quil est le régiment, mon commandant? quon demandait nous

 Il est à Barbagny.

 Où que cest Barbagny?

 Cest par là! »

Par là, où il montrait, il ny avait rien que la nuit, comme partout dailleurs, une nuit énorme qui bouffait la route à deux pas de nous et même quil nen sortait du noir quun petit bout de route grand comme la langue.

Allez donc le chercher son Barbagny dans la fin dun monde! Il aurait fallu quon sacrifiât pour le retrouver son Barbagny au moins un escadron tout entier! Et encore un escadron de braves! Et moi qui nétais point brave et qui ne voyais pas du tout pour-quoi je laurais été brave, javais évidemment encore moins envie que personne de retrouver son Barbagny, dont il nous parlait dailleurs lui-même absolument au hasard. Cétait comme si on avait essayé en mengueulant très fort de me donner lenvie daller me suicider. Ces choses-là on les a ou on ne les a pas.

De toute cette obscurité si épaisse quil vous semblait quon ne reverrait plus son bras dès quon létendait un peu plus loin que lépaule, je ne savais quune chose, mais cela alors tout à fait certainement, cest quelle contenait des volontés homicides énormes et sans nombre.

Cette gueule dÉtat-major navait de cesse dès le soir revenu de nous expédier au trépas et ça le prenait souvent dès le coucher du soleil. On luttait un peu avec lui à coups dinertie, on sobstinait à ne pas le comprendre, on saccrochait au cantonnement pépère tant bien que mal, tant quon pouvait, mais enfin quand on ne voyait plus les arbres, à la fin, il fallait consentir tout de même à sen aller mourir un peu; le dîner du général était prêt.

Tout se passait alors à partir de ce moment-là, selon les hasards. Tantôt on le trouvait et tantôt on ne le trouvait pas le régiment et son Barbagny. Cétait surtout par erreur quon les retrouvait parce que les sentinelles de lescadron de garde tiraient sur nous en arrivant. On se faisait reconnaître ainsi forcément et on achevait presque toujours la nuit en corvées de toutes natures, à porter beaucoup de ballots davoine et des seaux deau en masse, à se faire engueuler jusquà en être étourdi en plus du sommeil.

Au matin on repartait, groupe de la liaison, tous les cinq pour le quartier du général des Entrayes, pour continuer la guerre.

Mais la plupart du temps on ne le trouvait pas le régiment et on attendait seulement le jour en cerclant autour des villages sur les chemins inconnus, à la lisière des hameaux évacués, et les taillis sournois, on évitait tout ça autant quon le pouvait à cause des patrouilles allemandes. Il fallait bien être quelque part cependant en attendant le matin, quelque part dans la nuit. On ne pouvait pas éviter tout. Depuis ce temps-là, je sais ce que doivent éprouver les lapins en garenne.

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