Луи Фердинанд Селин - Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке стр 8.

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Ça vient drôlement la pitié. Si on avait dit au commandant Pinçon quil nétait quun sale assassin lâche, on lui aurait fait un plaisir énorme, celui de nous faire fusiller, séance tenante, par le capitaine de gendarmerie, qui ne le quittait jamais dune semelle et qui, lui, ne pensait précisément quà cela. Cest pas aux Allemands quil en voulait, le capitaine de gendarmerie.

Nous dûmes donc courir les embuscades pendant des nuits et des nuits imbéciles qui se suivaient, rien quavec lespérance de moins en moins raisonnable den revenir et celle-là seulement et aussi que si on en revenait quon noublierait jamais, absolument jamais, quon avait découvert sur la terre un homme bâti comme vous et moi, mais bien plus charognard que les crocodiles et les requins qui passent entre deux eaux la gueule ouverte autour des bateaux dordures et de viandes pourries quon va leur déverser au large, à La Havane.

Nous dûmes donc courir les embuscades pendant des nuits et des nuits imbéciles qui se suivaient, rien quavec lespérance de moins en moins raisonnable den revenir et celle-là seulement et aussi que si on en revenait quon noublierait jamais, absolument jamais, quon avait découvert sur la terre un homme bâti comme vous et moi, mais bien plus charognard que les crocodiles et les requins qui passent entre deux eaux la gueule ouverte autour des bateaux dordures et de viandes pourries quon va leur déverser au large, à La Havane.

La grande défaite, en tout, cest doublier, et surtout ce qui vous a fait crever, et de crever sans comprendre jamais jusquà quel point les hommes sont vaches. Quand on sera au bord du trou faudra pas faire les malins nous autres, mais faudra pas oublier non plus, faudra raconter tout sans changer un mot, de ce quon a vu de plus vicieux chez les hommes et puis poser sa chique et puis descendre. Ça suffit comme boulot pour une vie tout entière.

Je laurais bien donné aux requins à bouffer moi, le commandant Pinçon, et puis son gendarme avec, pour leur apprendre à vivre; et puis mon cheval aussi en même temps pour quil ne souffre plus, parce quil nen avait plus de dos ce grand malheureux, tellement quil avait mal, rien que deux plaques de chair qui lui restaient à la place, sous la selle, larges comme mes deux mains et suintantes, à vif, avec des grandes traînées de pus qui lui coulaient par les bords de la couverture jusquaux jarrets. Il fallait cependant trotter là-dessus, un, deux Il sen tortillait de trotter. Mais les chevaux cest encore bien plus patient que des hommes. Il ondulait en trottant. On ne pouvait plus le laisser quau grand air. Dans les granges, à cause de lodeur qui lui sortait des blessures, ça sentait si fort, quon en restait suffoqué. En montant dessus son dos, ça lui faisait si mal quil se courbait, comme gentiment, et le ventre lui en arrivait alors aux genoux. Ainsi on aurait dit quon grimpait sur un âne. Cétait plus commode ainsi, faut lavouer. On était bien fatigués nous-mêmes, avec tout ce quon supportait en aciers sur la tête et sur les épaules.

Le général des Entrayes, dans la maison réservée, attendait son dîner. Sa table était mise, la lampe à sa place.

« Foutez-moi tous le camp, nom de Dieu, nous sommait une fois de plus le Pinçon, en nous balançant sa lanterne à hauteur du nez. On va se mettre à table! Je ne vous le répéterai plus! Vont-ils sen aller ces charognes! » quil hurlait même. Il en reprenait, de rage, à nous envoyer crever ainsi, ce diaphane, quelques couleurs aux joues.

Quelquefois le cuisinier du général nous repassait avant quon parte un petit morceau, il en avait de trop à bouffer le général, puisquil touchait daprès le règlement quarante rations pour lui tout seul! Il nétait plus jeune cet homme-là. Il devait même être tout près de la retraite. Il pliait aussi des genoux en marchant. Il devait se teindre les moustaches.

Ses artères, aux tempes, cela se voyait bien à la lampe, quand on sen allait, dessinaient des méandres comme la Seine à la sortie de Paris. Ses filles étaient grandes, disaiton, pas mariées, et comme lui, pas riches. Cétait peut-être à cause de ces souvenirs-là quil avait tant lair vétillard et grognon, comme un vieux chien quon aurait dérangé dans ses habitudes et qui essaye de retrouver son panier à coussin partout où on veut bien lui ouvrir la porte.

Il aimait les beaux jardins et les rosiers, il nen ratait pas une, de roseraie, partout où nous passions. Personne comme les généraux pour aimer les rosiers. Cest connu.

Tout de même on se mettait en route. Le boulot cétait pour les faire passer au trot les canards. Ils avaient peur de bouger à cause des plaies dabord et puis ils avaient peur de nous et de la nuit aussi, ils avaient peur de tout, quoi! Nous aussi! Dix fois on sen retournait pour lui redemander la route au commandant. Dix fois quil nous traitait de fainéants et de tire-au-cul dégueulasses. À coups déperons enfin on franchissait le dernier poste de garde, on leur passait le mot aux plantons et puis on plongeait dun coup dans la sale aventure, dans les ténèbres de ces pays à personne.

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